Gravure de couverture (Colle~tion Lois HAYOT) ___,,__eJ ff'u:inlej /,eu'Uj .lu Ct,ealte le c£ainf par Maurice NICOLAS AVANT-PROPOS Toutes les generations qui se sont succede depuis la destruction de Saint-Pierre par la terrible eruption de la Montagne Pelee, le 8 Mai 1902, ont vecu au milieu des souvenirs de la «merveilleuse Cite», evoques avec quelle emotion, avec quelle nostalgie par «les vieux parents». Et invariablement, infailliblement, le souvenir le plus vivace et le plus cher etait assurement celui du Theatre. Ah ! Ce fameux Theatre de Saint-Pierre ! Etait-il un seul habitant de la Cite qui n'en eprouvat une incommensurable fierte ! · Pres de trois quarts de siecle ont passe depuis sa disparition sans que pourtant personne n'alt tente de retracer son Histoire. C'est l'reuvre combien passionnante, combien exaltante alaquelle, depuis une vingtaine d'annees, !'auteur s'est consacre. L'ouvrage qui est .ici presente · n'est certes qu'une ebauche sommaire et modeste d'une etude plus complete ; une «Histoire du Theatre de Saint-Pierre» necessiterait, en. eff et, plusieurs volumes tant · 1e sujet est fiche en evenements et en peripeties, tant il est, aussi, porteur de significations et d'enseignements. C'est qu'il fut veritablement, ce Theatre, non pas seulement le symbole de «La Belle Epoque» d'antan, mais surtout le temoin, voire meme !'instrument de l'evolution de la Societe de Saint-Pierre pendant toute la seconde moitie de son existence. Car il n'est pas un seul evenement de quelque consequence survenu dans la Cite.au fil des temps auquel, directement ou indirectement, le Theatre ne fUt point mele. Ce sont ces «grandes heures» du Theatre ~SaintPierre que !'auteur evoque dans ces pages. Sur la trame de son Histoire se dessine en filignme toute la vie spirituelle, politiq\le, sociale, culturelle de cette Ville que chacun designait comme la plus remarquable des Petites Antilles. Avec elle disparut !'elite de la Societe antillaise . M.N. ,3 PREMIERE PARTIE L'Epoque Heroi·que ) En ce temps la . . . Saint-Pierre Quand commence l'histoire du theatre de Saint-Pierre un siecle et demi seulement, a peine, s'est ecoule depuis l'etablissement des Fran~ais ala Martinique. Elever des fortifications pour repousser les attaques des Cara!bes, des Anglais ou des Hollandais, fonder des bourgs, tracer des routes, creer des industries, mettre en valeur les terres incultes, en un mot, pourvoir aux besoins immediats et quotidiens, tel avait ete -on s'en doute -!'unique preoccupation des «pionniers». Grace a un labeur incessant, les cultures de la canne asucre, du tabac, du cafe,du cacao, du coton, de !'indigo et autres denrees avaient connu un developpement extraordinaire. Et quand le XVIIIeme siecle est sur le point d'entamer son dernier quartier, la ville de Saint-Pierre, devenue <». Les actionnaires engagent A ,grands frais des acteurs venus de France. Mais la salle, ne comprenant que 250 places, limite les recettes qui s'averent insuffisantes a l'entretien de la troupe. Nouvel essai, nouveau :fiasco. · Par bonheur, le gourerneur de Nozieres et l'Intendant Tascher, administrateurs de l'lle sont «gens d'esprit» et de «bonne societe». lls decident done de ranimer le theatre en accordant une petite subvention. Non sans, d'ailleurs, quelque arriere-pensee. Le theatre, pensaient-ils, constituait un excellent derivatif au developpement des mauvaises mreurs, particulierement le vice du jeu qu'engendraient l'oisivete d'une certaine jeunesse et l'ennui de l'age mur ; le jeu qui causait tant de ravages au sein des familles, meme les phis honorables. Encourager le theatre etait en somme une reuvre d'utilite publique, d'assainissemeilt moral. Peu a peu, en effet, le theatre fait aux cabarets .une bienfaisante concurrence. Par la meme occasion, en gens sages et avises, nos administrateurs, par une ordonnance du 24 Avril 1772 (c'est le premier acte officiel retrouve, concernant le theatre) enregistree au· Conseil Souverain, assurent la protection de l'entreprise. L'ordonnance en effet, dispose que; . (5) Malheureusement la concorde allait etre de courte dun~e. . La rivalite entre Planteurs et Negociants s'etait accentuee a la suite des dernieres decisions du gouverneur. La rivalite se change bientot en hostilite, au point qu'il ne suffisait plus que d'un pretexte, si futile soit-il, pour qu'elle se donnat libre cours. Le pretexte qu'on prevoyait avec tant Q,;apprehension va se produire. Pour la premiere fois vont s'affronter alors les «fleurs de lys» et ·dwll'l't:.. r ' Plans du Theatre en 1823 l ' t! I ' l ' t! I ' (Collection Lois HAYOT) Substitut. Effectivement, des qu'il paralt des huees l'accueillent : <~ bas le procureur du Roi !A bas le Toucan ! Canaille !Polisson !» Lesjeuries gens se precipitent; le baron Faure est comme porte au bas des marches, on separe le commissaire de police et l'officier de gendarmerie du Substitut; on l'entoure, on le bouscule, l'un desmanifestant meme, Adolphe Labat, clerc a l'etude de Me Bury, porte au magistrat plusieurs coups de canne sur la tete. Le desordre est indescriptible. Entre temps l'officier de gendarmerie etait revenu apres de M. Juston : -«le vous ai vu, dit-il a Adolphe Labat, c'est vous qui avez porte les coups de canne, je vous arrete !». Le commissaire de police intervient et souffle a l'officier : «N'arretez pas, ce serait le signal d'un massacre !». Le conseil lui paralt sage, car les esprits ant atteint un degre de surexcitation extraordinaire. Les deux officiers se contentent d'entrainer le magistrat hors du Theatre, avec le concours de quelques agents. Les jeunes gens cependant les suivent et continuent de pousser des eris hostiles a l'adresse du Substitut. Un veritable cortege poursuit le petit groupe de protection forme autmir de M. J uston, a travers les rues. Aucun agent de police n 'ose intervenir brutalement contre la foule dechainee et enhardie encore par le calme de ceux qu'ils pourchassent en proferant insulfes et menaces. Enfin le cortege se disloque au bas de la Grand' rue (la rue Victor Hugo actuelle ). Mais ce n'est pas fini. Le lendemain, alors que M. Juston traverse la place de la batterie d'Esnotz (a l'endroit ou se trouve mnintenant le. musee volcanologique) un groupe de jeunes gens prend encore apartie le Substitut. Les autorites sont alertees. Le Procureur General en personne se transporte a Saint-Pierre. Des patrouilles sillonnent les rues. On craint une emeute .. Car les incidents ont depasse le cadre d'une incartade de collegiens ; ce n'est plus simple inimitie envers un quelconque magistrat. C'est beaucoup plus grave. On s'attaque .~ maintenant a la Justice, rendue responsable des jugements pris dans les differends opposant Blancs et hommes de couleur libres. Bref, l'affaire du Theatre viendra devant les Assises. De toute cette foule -l'aristocratie de Saint-Pierre, pourtant bien connue -qui molesta le Substitut, trois personnes seulement furent «reconnues» et done citees devant les juges : M. Ciceron, Adolphe Labat et le jeune Bonifay. Ce dernier d'ailleurs comptait -malgre son jeune age (17 ans) -parmi les plus turbulents de la ville, et avait deja eu maille a partir avec la Justice. Ciceron, Labat et le jeune Bonifay, -inculpes seront finalement relaxes, les temoins ayant fait defaut, sous des pretextes divers a la suite de menaces re~ues. · Quanf a Juston-Toucan il dut aller sous d'autres cieux servir la Justice. Le Theatre cependant est ferme par ordre des autorites. A travers le · burlesque de. ces incidents,· un grave malaise social transparait. Les rivalites sociales ·vont atteindre bientot leur paroxysme et se concretiseront au moment de la fameuse «Aff aire de la Grand'Anse». L'annee miraculeuse Mais par un etrange retour des choses, le !heatre, qui avait vu se manifest er ce malaise social~deviendra le trait d 'union entre les differentes classes de la Societe Un beau jour de 1836, en effet, debarque a la Martinique un certain Charvet. C'est un artiste qui exerce deja ses talents a la Guadeloupe depuis 1830, avec semble-t-il, uncertain bonheur; il a meme assure la direction des Theatres de Basse-Terre et de Pointe-a-Pitre. Son, ambition est d'obtenir le privilege de !'exploitation des .salles de spectacle de Fort-Royal et de Saint-Pierre. ·Si, a Fort-Royal, fonctionnait occasionnellement un «Theatre de Societe par souscriptiom> c'est-a-dire une sorte de theatre prive, d'ou etaient exclus, du reste, les gens de couleur, (8) la salle de spectacle de Saint-Pierre, elle, etait restee fermee depuis les evenements de 1830. Charvet, pour realiser son dessein, demande audience au Gouverneur de la Martinique, le contre-amiral Mackau et sollicite la reouverture du Theatre de Saint-Pierre et !'exploitation de celui de Fort-Royal. Seulement, insiste-t-il, il desire que ces theatres soient publics, autrement dit sans autres distinctions de places que celles etablies par les prix courants ~ A ces mots, le gouverneur, lance a son interlocuteur un regard ou se melent commiseration et irritation. Cet individu a-t-il perdu la.raison ou est-il plut6t un fauteur de troubles ? Songer un seul instant melanger la classe blanche a celle des gens de couleur ! Dans une telle conj oncture ! (8) Revue des Colonies 1834 -Periodique publie ~ Paris. par Bissette. Communique par G. Debien. · Charvet repond que pendant cinq annees il l'a fait, tant a Basse-Terre qu'a Pointe-a-Pitre et que personne n'a eu a s'en plaindre (9) -Mais, retorque le gouverneur, la situation est ici bien differente ! Sur ce, il congedie son visiteur en le priant d'abandonner ses chimeres s'il ne veut pas etre renvoye d'ou il vient par le premier navire. Mais Charvet est tetu. Surtout .il croit a son projet. Alors il fait circuler une liste, sur laquelle Blancs et gens de couleur, partisans du projet, inscrivent leurs noms et qualites. Et notre artiste «revolutionnaire» recueille ainsi cinq mille signatures ! Muni de cette liste, il se rend a nouveau chez le gouverneur. Le Baron de Mackau, s'incline. II consent a tenter !'experience. Mais qu'il soit bien entendu que c'est aux risques et perils de Charvet lui-meme, qu'il repond personnellement de l'ordre ! 'Effectivement l'arrete du gouverneur qui accorde aCharvet la concession du privilege pour !'exploitation du Theatre de SaintPierre, precise (I 0) : art. 2 <. Cette reuvre unique en son genre retrace les mreurs de notre population noire. Le role de Therese avait ete confie ala chanteuse Legere de la troupe, Madame Roche, qui emporta tous les suffrages. Aussi Fondoc reconnaissant lui remit apres la representation la piece suivante: «Li blanche con coco, zies li malins, yo doux Ou ka senti l'amou quand yo ka guete vous Ti bouche ali fiscale et ti dents li tout belles. Y 0 Colle cote a cote, OU a dit des ti peles. Ti cops li ka leste quand. li dans robe ali,. (14) Ballet (Jules) La Guadeloupe -Basse-Terre 1902 -Tome Ill. Et quand li ka pale, ma foua 'St! bien joli. Ti voue ·u ka viboue' tant con yan chantrelle Li doux, ka oucoule con la voue yon toutrelle. Latin ou ? Divinez Si ou tini bon nez A qui portrait cila Yo soti faire la ? Faudrait ou srait tini zie ou caches dans poche Pou pas vouer d'in sel coup, ce cila ti man Roche».